
La célèbre artiste Marina Abramović, figure de proue de l’art corporel et performatif, vient
de se lancer sur le créneau étonnant des produits de beauté et de bien-être.
Cette créatrice transgressive a bâti sa carrière sur des performances radicales, testant les
limites de son propre corps face au public. Mais à 75 ans, Abramović semble avoir troqué la
subversion pour le business de la spiritualité et du développement personnel…
Dans cet article, nous allons revenir sur son parcours artistique puis analyser dans quelle
mesure ce virage étonnant dans le lifestyle s’inscrit, ou non, dans la continuité de sa
démarche. Spiritualité sincère ou ultime provocation ?

Marina Abramović, de l’art corporel au business de la longévité
Marina Abramović s’est fait connaître dès les années 70 par des performances radicales,
utilisant son propre corps comme matériau et support de création. De la marche sur la
Grande Muraille de Chine à ses mises en danger volontaires face au public, elle a toujours
repoussé les limites physiques et mentales.
A 75 ans, Abramović n’a semble-t-il pas perdu son goût pour le dépassement de soi, mais
cette fois sur le plan commercial ! Elle vient en effet de lancer toute une gamme de
compléments alimentaires et de cosmétiques estampillés « Méthode Abramović pour la
Longévité ».
Spiritualité, business et ambiguïté
Si le virage lifestyle de Marina Abramović peut surprendre, il s’inscrit dans la continuité de
son récent repositionnement. L’artiste se veut désormais une sorte de gourou prônant
sagesse et spiritualité, à grand renfort de références aux cultures ancestrales.
Sa « Méthode pour la Longévité », dont les produits cosmétiques ne sont que la partie
émergée de l’iceberg business, s’inscrit pleinement dans cette mouvance New Age. Le bien-
être par la consommation de gadgets, en somme.
Difficile cependant de déterminer si Abramović verse ici dans une forme de second degré…
Ce qui était auparavant de la provocation radicale semble s’être lissé en un discours lénifiant
sur le développement personnel.
Place donc à l’ambiguïté. L’artiste se satisfait-elle désormais de surfer sur la vague du
lifestyle ? Seule certitude : son public, lui, a définitivement changé. Exit les aficionados de
l’art contemporain, place aux adeptes de la pensée positive !

Un positionnement artistique qui interroge
Pour mieux cerner la démarche d’Abramović, il faut remonter aux racines du mouvement
artistique, dont elle est issue : l’art corporel féministe des années 70. À cette époque, de
nombreuses performeuses comme elle utilisaient leur propre corps comme moyen
d’expression, pour affirmer leur subjectivité face au regard objectivant masculin.
Le repositionnement business et lifestyle de Marina Abramović surfe donc sur plusieurs
ambiguïtés. Qu’elle le veuille ou non, son image publique de « gourou de la longévité »
réactive le cliché patriarcal de la femme comme éternel objet de séduction et de
consumation.
La métamorphose : du corporel au spirituel
La trajectoire récente d’Abramović marque une césure avec ses racines artistiques. La
performeuse, dont la marque de fabrique était naguère la mise à l’épreuve radicale de son
propre corps, prône désormais la quête du bien-être intérieur et de la spiritualité.
Ses récentes déclarations sur « la perte de notre centre spirituel » tranchent singulièrement
avec des performances passées comme Rythm 0. Auparavant, offrant son corps au bon
vouloir du public, elle avait alors atteint des sommets de vulnérabilité physique et
émotionnelle.
À 75 ans, Abramović renoue avec les clichés New Age sur le développement personnel et la
« force mentale ». Mais son repositionnement n’est pas sans soulever des questions. En
surfant sur les aspirations contemporaines au bien-être, l’artiste ne sombre-t-elle pas dans
une forme de compromission ? Sa démarche interroge…

Quand la subversion s’efface
Cette évolution interpelle d’autant plus que les fondements mêmes de la démarche
artistique d’Abramović semblent s’effriter. La dimension transgressive et radicale de ses
performances physiques a cédé la place à un individualisme beaucoup plus consensuel.
Certes, le focus actuel sur la responsabilisation personnelle résonne avec l’air du temps.
Toutefois, ce recentrage sur le développement intérieur fait-il encore sens pour celle qui
s’exposait récemment, corps et âme, face au regard du public ?
Le contraste est saisissant entre la vulnérabilité de ses premières œuvres et l’éloge du
« mental fort » véhiculé désormais par sa « méthode de longévité ». In fine, en gommant sa
radicalité originelle, le travail récent d’Abramović ne verse-t-il pas dans une forme
d’autocensure ? Voire même d’autocélébration vaniteuse ?
Produits cosmétiques : véritable business ou ultime provocation ?
Cette dernière interrogation nous mène à la genèse de cet article : le lancement par Marina
Abramović de toute une gamme de compléments alimentaires et cosmétiques censés
garantir longévité et épanouissement intérieur.
De prime abord, la démarche commerciale est assumée. Pourtant, comment ne pas établir
de parallèle avec des artistes comme Orlan ? Celle-ci, par ses opérations chirurgicales
extrêmes pour atteindre un idéal de beauté chimérique, soulignait jusqu’à l’absurde les
dérives de la quête éperdue du corps parfait.
Dès lors, on peut se demander si les produits estampillés du nom d’Abramović ne
relèveraient pas, à leur façon, d’une forme de critique des excès du business du bien-être et
de la valorisation sociale de la jeunesse éternelle. L’artiste tendrait-elle ici un miroir
déformant à notre société ? Affaire à suivre…